La vie et l’oeuvre de saint Grégoire Péradzé

Saint Grigol (Grégoire, Gregor, Grzegorz) Péradzé (connu dans le monde scientifique comme l’Archimandrite Péradzé) est né le 13 septembre (le 31 août au calendrier julien) 1899 à Bakurciche dans la province de Kakhétie en Géorgie[1]. Son père, Romanoz, qui était le prêtre de la paroisse orthodoxe de Bakurciche, décéda en 1905; les enfants furent élevés par leur mère et par leur oncle paternel. Le Père Grégoire disait plus tard que sa vie fut influencée de manière décisive par la tradition familiale, parlant de l’appel de l’un des ancêtres au sacerdoce[2]. Marchant sur ses traces, Grégoire entra au petit séminaire de Tbilissi dont il sortit diplômé en 1913. Il continua ensuite ses études au séminaire qu’il termina premier de sa promotion en 1918. Dans la Russie d’avant la révolution, un diplôme de première classe donnait le droit d’entrer dans toutes les Académies théologiques de l’Empire russe, mais la révolution avait éclaté et la formation d’une république de Géorgie indépendante changea tous les projets d’avenir. Il commença donc des études de philologie à l’Université de Tbilissi, il accomplit son service militaire de base dans les années 1919-1921 et fut instituteur dans une école rurale au village de Manavi[3], d’où il rentra à l’université de Tbilisi et de là, grâce aux efforts du prêtre et professeur Korneli Kékélidze (1879-1962) remarquable spécialiste de la littérature et de la liturgie géorgiennes anciennes, il reçut la permission d’aller étudier à l’étranger.

En octobre 1921, le conseil du catholicosat de Géorgie, sous la présidence du catholicos patriarche Ambroise Ier (1861-1927) envoya Grégoire Péradzé étudier à Berlin, avec pour mission d’acquérir une formation théologique complète. Il avait obtenu une bourse pour l’Allemagne, en particulier grâce aux efforts du Dr Johannes Lepsius (1858-1926), auquel Grégoire s’attacha, ainsi qu’à toute sa famille, en une relation vraiment familiale. Il partit donc pour Berlin à la fin d’octobre 1921 et commença par suivre des cours intensifs d’allemand, puis ensuite, le 12 mai 1922, après avoir passé les examens nécessaires, il fut inscrit à la faculté de théologie de l’Université de Berlin. Sous la direction des professeurs Adolf von Harnack, Adolf Deissmann, Karl Holl, Carl Brockelman et Bruno Meissner, il étudia la théologie et les langues orientales anciennes : hébreu, syriaque, arabe, copte, arménien et grec. À la même époque, il étudia également le latin, l’allemand, l’anglais, le français et le danois. En outre, il savait évidemment le russe, le slavon et le géorgien, et après 1933, il apprit très rapidement le polonais.

Dans un premier temps, Grégoire Péradzé avant l’intention de présenter un mémoire de licence sur l’activité du moine athonite géorgien Georges l’Hagiorite (1000-1065). À la fin de 1924, sur les conseils de Richard Meckelain, lecteur de géorgien à l’Université de Berlin, il s’adressa au professeur Goussen, de Bonn, pour lui demander son aide avant de continuer ses études. À cette époque, de fin août 1924 à décembre 1925, en raison de la situation de crise économique en Allemagne, il demeurait à Rodbu, sur l’ile de Lonnonad au Danemark, dans la famille d’un pasteur[4]. Pendant les fêtes de Noël 1924, il passa deux semaines chez le professeur Goussen, à travailler dans sa bibliothèque privée, et à son retour à Berlin, son ami et son protecteur le Dr Johannes Lepsius lui conseilla de partir pour l’université de Bonn, ce qu’il fit le 29 mai 1925. À la faculté de Philologie de Bonn, il étudia l’histoire de la religion et perfectionna sa connaissance des langues orientales sous la direction de Paul Kahle, Anton Baumstark et en particulier de Heinrich Goussen, le fameux orientaliste allemand. C’est à cette époque qu’il traduisit en allemand la vie de Georges l’Hagiorite, augmentée d’une introduction critique et de notes. Le Dr Lepsius lui conseilla d’élargir son champ de recherches et de présenter le travail pour un doctorat. Il travailla donc selon les conseils de son maître et soutint, le 26 février 1926, une thèse intitulée Geschichte des Georgischen Mönchtums von ihren Anfängen bis zum Jahre 1064. Ein Beitrag zur Geschichte der orientalischen Mönchtums. Son jury de thèse était composé du professeur Dr Paul Kahle, de l’Université de Bonn, et du professeur Dr Karl Holl, de l’Université de Berlin. La publication de fragments de son travail, le 17 décembre 1927, lui permit d’être solennellement promu docteur[5].

Dans sa thèse, Grégoire Péradzé analyse les vies des saints moines géorgiens, et arrive à une série de conclusions importantes pour la connaissance de l’histoire du monachisme géorgien. Il considère tout d’abord que le monachisme géorgien dans sa forme érémitique avait été fondé par des Géorgiens directement après la christianisation de la Géorgie au IVe siècle. Vers 550, arrivèrent en Géorgie les “treize pères syriens” que Péradzé considère comme les véritables fondateurs de la vie monastique communautaire. Leur séjour donna l’impulsion à la construction de nouveaux monastères et au développement de la vie monastique. Les Syriens, arrivés en Géorgie parce qu’ils étaient persécutés dans leur pays, introduisirent certains éléments d’ascèse, en particulier pour le monophysisme. Leur ascèse se caractérisait par une animosité marquée envers le corps: ils ne se préoccupaient pas de leur alimentation (ils mangeaient du pain et des légumes, ils buvaient de l’eau) de leur vêtement (par exemple, ils marchaient pieds nus) ni de leur logis (ils vivaient dans des grottes). Ils arrivèrent en Géorgie à un moment historique très important. Au Ve siècle, l’Église géorgienne s’était unie à l’Église arménienne contre les partisans du Concile de Chalcédoine, pour, un siècle plus tard, sous le patriarche Kirion, passer au monophysisme. À l’époque où les moines syriens arrivèrent en Géorgie, elle était neutre religieusement, et n’avait adopté aucune attitude envers le Concile de Chalcédoine. Les nouveaux arrivants syriens fortifièrent l’orthodoxie géorgienne et organisèrent un réseau de monastères : Jean de Zadazeni fonda le monastère de Mtskheta, David le monastère de Garédja, Shio le monastère de Shio-Mgvime, Abibios devint évêque de Nekresi et Izé évêque de Cirkani. Toutefois on ne sait pas grand chose sur leurs vies. Elles furent écrites très tôt par leurs disciples, mais malheureusement, elles ne sont pas parvenues jusqu’à nous. Celles dont nous disposons remontent presque entièrement au XIIe siècle, et elles sont pour une bonne part l’oeuvre des moines, qui les ont copiées de différentes sources en y ajoutant bien des légendes. Finalement elles furent attribuées au catholicos Arsène II (855-882) car c’était lui le principal adversaire des Arméniens antichalcédoniens[6].

Les premières années après la fin de ses études, Grégoire Péradzé continua de s’occuper du monachisme géorgien. Il fit dans ce domaine toute une série de remarques ayant trait au rôle des monastères dans la vie de l’Église de Géorgie et du christianisme oriental. Le monachisme géorgien ne se base pas sur des règles et des statuts réguliers. Au premier plan se détache la personnalité du prieur, qui est un modèle pour les autres. Chaque prieur a sa propre règle qui est plus tard suivie par ses disciples. En Géorgie, cela eut des effets négatifs et positifs. Comme on manquait d’une idée et de règles statutaires, il ne s’est pas formé de propres relations intérieures entre l’Église et le monastère, et au contraire du monachisme oriental, le monachisme géorgien n’a pas été au service des besoins intérieurs de sa propre Église. Beaucoup de saints moines n’ont accepté que contraints et forcés des postes dans l’Église pour accomplir les tâches qui leur étaient confiées. On peut y voir l’influence du monachisme syriaque et copte. Le P. Péradzé a souvent signalé l’histoire non encore étudiée des influences des traditions coptes sur le christianisme en Géorgie. Mais d’autre part, en Géorgie, le caractère spirituel et l’enthousiasme du monachisme ont été préservés, grâce auxquels les monastères ont réalisé des tâches religieuses et ecclésiales sans être menacés par une hypertrophie des formes et des prescriptions. Le monachisme géorgien a rempli l’Église d’indépendance et d’inquiétude[7]. Les recherches de cette époque se sont traduites dans un autre article de Péradzé sur le monachisme géorgien, consacrés aux travaux de traduction d’Euthyme l’Hagiorite (vers 955-1028) au monastère d’Iviron à l’Athos[8].

Après des recherches chez les Bollandistes de Bruxelles sous la guidance du père Paul Peeters (1870-1950) et à l’Université Catholique de Louvain (de fin mai 1926 à fin juin 1927), Grégoire Péradzé fut engagé à l’Université de Bonn, d’abord comme lecteur de langues arménienne et géorgienne, puis comme Privat docent (à la mort d’Heinrich Goussen en 1927). Dès lors le nom de Grégoire Péradzé apparaît plus souvent dans diverses revues scientifiques. Ses articles lui ont valu d’emblée l’opinon favorable de l’un des meilleurs connaissseurs du christianisme ancien au Proche Orient. Julius Assfalg, dans un article consacré aux études de kartvélologie en Allemagne, caractérise ainsi l’activité du Dr Péradzé à Bonn : « Les études géorgiennes ont pris un essor nouveau dès le moment où le Géorgien Grégoire Péradzé a soutenu son doctorat à Bonn, avec une dissertation concernant les débuts du monachisme géorgien et lorsqu’il a commencé à publier ses travaux, surtout dans Oriens Christianus, la revue dont Anton Baumstark est le rédacteur. Oriens Christianus traite régulièrement de questions géorgiennes, s’inscrivant dans la lignée d’Anton Baumstark, T. Kluge, Heinrich Goussen, G. Péradzé et M. Tarchnishvili. (…) De nos jours, après la mort de Goussen, Péradzé, Baumstark et Peeters, et le départ de J. Molitor et K. Schmidt vers d’autres écoles supérieures, la langue géorgienne n’est plus enseignée à l’Université de Bonn[9] » On retrouve la même opinion chez le professeur Hubert Kaufhold en introduction à l’article de Grégoire Péradzé sur le sort de la culture géorgienne publié dans Oriens Christianus[10] ; Grégoire Péradzé s’était effectivement engagé activement dans la vie scientifique de l’Allemagne, en prononçant entre autres, pour la première fois en août 1928, à la Ve Conférence des Orientalistes d’Allemagne, un exposé intitulé « Zur Vorbyzantinischen Liturgie Georgiens », tandis que l’année suivante à Vienne, il donnait une conférence sur « Die Probleme der Georgischen Evangelium Übersetzung ».

À la même époque, il concentre son attention sur la liturgie géorgienne prébyzantine, ce qui a donné plusieurs ouvrages classiques sur ce thème. Au début, le fait que l’Église géorgienne dépendait d’Antioche a influencé la réception des traditions d’Antioche et de Jérusalem. L’influence de Jérusalem sur la liturgie géorgienne s’est exercée en particulier par les monastères géorgiens (en particulier le monastère Sainte-Croix et le Monastère du Sauveur), et la population géorgienne habitant en Palestine. Les monuments liturgiques géorgiens prébyzantins attestent que l’on a d’abord célébré en Géorgie la liturgie de saint Jacques, et plus tard également la liturgie de saint Pierre. Les prières qui sont conservées pour l'ordination permettent d’affirmer que ces textes procèdent de la Tradition des Constitutions Apostoliques, du Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les heures canoniques indiquent elles aussi une grande dépendance de la tradition de Jérusalem. Les tropaires et les idiomèles géorgiens ne correspondent à aucun texte grec connu, ce qui atteste leur origine hiérosolymitaine. Une grande quantité de canons de matines possède une deuxième ode qui a disparu dans la tradition byzantine. Dans la province de Svanétie, on a conservé une tradition de célébrer certaines parties des offices devant une croix richement ornée disposée au milieu de l'église, ce qui est une trace de la procession décrite par Égérie, procession vers la croix sur le roc du Golgotha. On conserve également certains textes liturgiques dont l'original grec est perdu comme des stichères pour le 24 décembre et le 5 janvier ainsi que le canon des matines du dimanche avant l'Épiphanie dont l'auteur est Saint-Jean Damascène. Jusqu'aujourd'hui, l'énigme de la présence de vingt-quatre tropaires pour « Kyrie ekekraksa » (Seigneur je crie vers Toi) aux vêpres demeure entière. L’adoption du rite byzantin fut la conséquence des rapports proches avec Byzance, et elle s'est effectuée au tournant du Xe siècle essentiellement grâce à l'activité de traducteurs d'Euthyme l’Hagiorite et de Georges l’Hagiorite au mont Athos. Toutefois on conserve encore en Géorgie des traces des traditions prébyzantines[11]. Des données intéressantes en cette matière sont contenues dans la traduction publiée par Grégoire Péradzé, une traduction en langue allemande d'une lettre de saint Euthyme l’Hagiorite (Mtatsmindeli = du mont Athos) qui répondait à des questions de Théodore Sabatsmindeli (= de Saint-Sabbas). Cette lettre contient une description des relations dans l'Église géorgienne au XIe siècle. L'une des questions concerne la liturgie de l'apôtre Jacques et la liturgie de l'apôtre Pierre. Euthyme considère que l'on peut célébrer ces liturgies. Toutefois le temps de l'unité avec l'Arménie était déjà révolu et toutes les coutumes venues de l'Église arménienne furent considérés comme fautives. À vrai dire, encore au XIe siècle, on puisait dans l'héritage littéraire de l'Arménie ce que ce qui transparait nettement des lettres de Georges l'Hagiorite. Euthyme est l'un des premiers représentants de l'orientation byzantine dans l'Église géorgienne, qui signa la fin, en Géorgie, des traditions d'Antioche et de Jérusalem[12]. Péradzé a familiarisé les liturgistes avec la problématique de la liturgie géorgienne également en traduisant en français la version géorgienne de la liturgie de l'apôtre Pierre[13].

En 1931, Grégoire Péradzé a prononcé ses voeux monastiques en la cathédrale grecque de Paris où il a reçu également l'ordination sacerdotale. Il a pris cette décision à la suite d'une grave maladie. Il s'était lié avec la communauté géorgienne de Paris : cofondateur de la paroisse, il en devint le premier recteur. La même année, il a fait paraître une première livraison d'un bulletin paroissial et scientifique : la Croix de Sainte-Nino (Djvari Vazissa) dont il fut à la fois le fondateur et le rédacteur. Pour le bien de la paroisse, il a également renoncé à son enseignement à l’Université de Bonn (en 1932). Après avoir donné quelques conférences à Oxford, il s'établit à Paris comme prêtre de la paroisse géorgienne et rédacteur de la Croix de Sainte-Nino. La plupart des articles publiés dans ce volume annuel a Péradzé pour auteur.

Le père Grégoire Péradzé rêvait d'enseigner dans une école théologique. Son voeu fut exaucé en 1933, quand le métropolite Dionizy l'invita à Varsovie et lui proposa le poste de professeur suppléant de patrologie et de chef de travaux du séminaire de Patristique à la section de théologie orthodoxe de l'Université de Varsovie. Grégoire Péradzé donna sa leçon inaugurale le 7 décembre 1933. Elle avait pour thème « Le concept, les objectifs et les méthodes de la patrologie dans la théologie orthodoxe ». Il indiquait en particulier la place de la patrologie dans la pratique de la théologie et il postulait que, à côté de la patrologie grecque et latine, il faudrait enseigner également les autres littératures chrétiennes orientales afin que l'on puisse procéder à des recherches critiques selon une méthodologie de travail scientifique[14].

En janvier 1934 heures le père Grégoire Péradzé reçut, en la cathédrale grecque Sainte-Sophie de Londres, la dignité d'archimandrite. L'année académique 1934-1935, il prononça pour tous les étudiants de la section de théologie orthodoxe de Varsovie un cycle de conférences sur le thème de l' «Introduction à la science théologique ». Après ces brillantes conférences, le directeur de la section, le métropolite Dionisy, fit à deux reprises la demande d'accorder au père Grégoire Péradzé le titre de professeur extraordinaire ; le recteur de l'Université appuya sa demande, mais les autorités de l'État n'étaient nullement intéressées par le développement de la théologie orthodoxe[15].

Malgré ces difficultés de caractère administratif, le père Grégoire Péradzé travaillait toujours sans relâche pour le bien de l'Église de Pologne ; il habitait un petit appartement, au 22 rue Brukowa et il aidait en particulier les étudiants pauvres. À cette époque il fit une série de voyages d'études : du 14 juillet au 22 septembre 1935 il se rendit en Roumanie, en Grèce (au mont Athos et à Thessalonique) ainsi qu'en Bulgarie. Au mont Athos, il put se procurer 50 volumes géorgiens et 13 manuscrits en ce compris les apophtegmes, les oeuvres du pseudo Denis l'Aréopagite et des Vies apocryphes des Saints. Il découvrit également des versions grecques du martyre des saints Antoine, Jacques et Eustache de Vilno[16].

À la Bibliothèque Nationale de Sofia, il découvrit le texte géorgien du typicon du sébaste et grand domestique d'Occident Grégoire Pakourianos (XIe siècle) qui fut le bienfaiteur et le fondateur du monastère de Batchkovo (en géorgien Petritsoni). Ce monastère fut fondé pour des Géorgiens et son fondateur rédigea le typicon du monastère en géorgien, en grec et en arménien. Le texte découvert par Grégoire Péradzé est une copie du texte géorgien, réalisée en 1702. Ce manuscrit fut redécouvert par une mission géorgienne en 1949 dans le manuscrit numéro 581 de la Bibliothèque Nationale de Sofia. Grégoire Péradzé avait signalé sa découverte dès 1936 dans un article publié en polonais, en allemand et en anglais[17]. Actuellement, les trois versions de ce typicon sont publiées[18].

En 1936, du 5 juillet au 28 août, il accomplit un pèlerinage en Terre sainte et en Syrie d'où il rapporta entre autres des palimpsestes géorgiens du VIe et du VIIe siècle. Il publia ses souvenirs de voyage dans le périodique « Slowo » de 1938 ainsi que dans les « Nouvelles de la métropole orthodoxe de Pologne » en 1939[19]. Il rapporta également de ses voyages une collection de photos et de documents.

En ce qui concerne la suite de l'activité patristique de Grégoire Péradzé, il faut noter qu'en décembre 1937 et en janvier 1938 et il passa du temps en Italie (à Florence à Naples, à Venise et à Rome) pour faire des recherches sur Denis l'Aréopagite ; pendant les vacances de Pâques 1938, il travailla à la Bibliothèque nationale de Paris sur l'apologie de Tatien et en juillet-août 1937, il travailla dans les bibliothèques autrichiennes de Graz et de Vienne où il découvrit une version géorgienne du Dialogue de saint Grégoire le Théologien avec saint Basile[20]. Il faut rappeler également sa première découverte scientifique dans la bibliothèque Bodléienne d'Oxford d'un texte apocryphe géorgien : une lettre de Denis l'Aréopagite à l'évêque d’Éphèse Timothée sur le martyre des apôtres Pierre et Paul[21]; à Paris, en 1931, il découvrit également une traduction géorgienne de la Didachè, datant du VIIIe ou du Xe siècle[22].

Pour ce qui est de l'oeuvre scientifique du père Grégoire Péradzé, il faut tout d’abord attirer l'attention sur l'édition des sources telles, par exemple, que la chronique du monastère de saint Jean-Baptiste[23] ou des traductions des sources, comme par exemple un évangile monophysite géorgien apocryphe[24]. Une autre direction de son activité concernait la publication de catalogues, comme par exemple le catalogue des manuscrits géorgiens en Angleterre[25], les relations de voyage de pèlerins géorgiens en Terre sainte (ce qu'on appelle les écrits en marge des livres dans les bibliothèques de Palestine et qui concernent la Géorgie) [26], et en tout premier lieu le catalogue des traductions de la littérature chrétienne ancienne en langue géorgienne[27] qui était une adaptation en langue allemande de l'oeuvre de Korneli Kekelidzé, publiée en langue géorgienne : ucxo avtorebi zvals kartul mcerlobai (Les auteurs étrangers dans l'ancienne littérature géorgienne)[28]. La moisson scientifique du père Grégoire Péradzé est donc imposante et il n'y a pas d'article sans importance dans cette bibliographie. Les nombreuses recensions publiées apportent le témoignage de son érudition peu ordinaire. Souvent, il complétait le contenu du livre qu'il recensait, ou parfois il polémisait avec les thèses des auteurs. Le courant que l'on pourrait appeler popularisateur contient de nombreuses données, des hypothèses et des formulations très précieuses concernant divers aspects de la vie de l'Église, de l'histoire de la Géorgie, ou aussi du paganisme géorgien. Analysant par exemple le culte de saint Georges en Géorgie et ses relations avec le paganisme, Grégoire Péradzé contestait la thèse de Djanachvili, selon lequel le culte de saint Georges en Géorgie s'inscrit dans le prolongement du culte de la lune, car il considère que la divinité principale dans la Géorgie païenne était le soleil[29].

Lorsque la deuxième guerre mondiale éclata, le père Grégoire Péradzé était à Varsovie où il fut arrêté par la Gestapo le 5 mai 1942. Le prétexte immédiat pour son arrestation était une provocation et une dénonciation[30]. On a retrouvé sept documents permettant de reconstituer au moins certains événements de cette époque et en particulier de retrouver la date de l'arrestation du père Grégoire Péradzé. Le père Grégoire Péradzé fut tout d'abord détenu à la prison de Pawiak à Varsovie. De là, au mois de novembre (probablement le 18 novembre) 1942, il fut transféré au camp de concentration d’Auchwitz. L’acte de décès délivré par la kommandantur du camp, ainsi que d'autres documents, permettent d'établir qu'il est mort le 6 décembre 1942 à 16 heures 45 à Auschwitz[31].

Peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, l'Église orthodoxe de Géorgie commença le procès en canonisation du père Grégoire Péradzé, procès qui se conclut le 19 septembre 1995 au concile local de l'Église géorgienne par la canonisation du père Grégoire Péradzé comme « saint martyr ». Le père Grégoire Péradzé a joué un grand rôle dans l'histoire de la science non seulement polonaise, mais mondiale, comme l’attestent les nombreuses mentions et les références à ses travaux par des savants spécialistes de différentes disciplines telles que André Tarby, Julius Assfalg, Paul Krüger, ainsi que la Clavis Patrum Graecorum[32]. Ces travaux ont été hautement appréciés pour ce qui concerne sa contribution aux études géorgiennes en Allemagne[33]. 60 ans après sa mort, nous gardons le souvenir de l'homme de science et du moine, nous rendons hommage à sa mémoire et à son oeuvre scientifique, écrite notamment lors de ses années de séjour en Pologne. Il serait bon de réfléchir à la manière d’honorer sa mémoire, sous la forme, par exemple, de la publication en langue polonaise de tous ses travaux, ce qui constituerait également une importante contribution au développement des études orientales en Pologne.

 



[1] La date et le lieu de naissance sont donnés d’après l’extrait d’acte de naissance (sametriko cnoba) n°82, délivré le 27 aût 1921 à Tbilissi (Archives de la métropole orthodoxe de Varsovie).

[2] Por. G. Peradze, Przeznaczenie, „Polska Stronica Słowa”, 3:1938, z. 1-2, s. 5.

[3] Por. G. Peradze, Droga do zwycięstwa, tamże, 2:1937, z. 18-19, s. 4.

[4] Etabli à partir des lettres de Grégoire Péradzé au Dr Johannes Lepsius: masalebi grigol peradzis cxovrebisa da morvaweobis sesaxeb, „Artanudżi”, 2003, z. 11, p. 97-100 (la première lettre à Lipsius fut envoyée de Rødby le 20 août 1934, et la première après Rødby le 20 décembre 1925 de Cologne).

[5] Etabli à partir du Promotions-Album (B) der Philosophischen Fakultät. Actuellement: Archiv der Rheinischen Friedrich-Wilhelms-Universität à Bonn et du diplôme (Archives de la métropole orthodoxe de Varsovie); cf. G. Peradze, Die Ausbildungszeit unseres georgischen Theologen in Deutschland, „Der Orient”, 8:1926, S. 80-83.

 

[6] G. Peradze, Die Anfänge des Mönchtums in Georgien, Gotha, 1927, S. 39-41.

 

[7] G. Peradze, Über des georgischen Mönchtum, „Internationale Kirchliche Zeitschrift”, 16:1926, s. 152-168; du même, Skizzen zur Kulturgeschichte Georgiens, „Der Orient”, 12:1930, s. 85-89, 178-182.

[8] G. Peradze, L’activité littéraire des moines géorgiens au monastère d’Iviron au Mont Athos, „Revue d’Histoire Ecclésiastique”, 23:1927, p. 530-539.

[9] J. Assfalg, Über die georgischen Studien in Deutschland (Kurze Übersicht), „Bedi Kartlisa”, 19-20:1965, s. 206-207, 209.

[10] G. Peradze, Im Dienste der georgischen Kultur (1926-1940). Einleitung von H. Kaufhold, „Oriens Christianus”, 83:1999, S. 193-225.

[11] G. Peradze, Les monuments liturgiques prébyzantins en langue géorgienne, Le Muséon 45 (1932), 4, p. 255-272; Przedbizantyjskie zabytki liturgiczne w języku gruzińskim, przeł. H. Paprocki, „Wiadomości Polskiego Autokefalicznego Kościoła Prawosławnego (WPAKP)”, 16:1986, z. 3-4, s. 28-38; G. Peradze, Zur Vorbizantinischen Liturgie Georgiens, Le Muséon 42 (1929), 2, p. 90-99. O przedbizantyjskiej liturgii gruzińskiej, przeł. G. Bakota, WPAKP, 17:1987, z. 4, s. 14-20.

 

[12] G. Peradze, Ein Dokument der mittealterlichten Liturgiegeschichte Georgiens, „Kyrios”, 1:1936, S. 74-75.

[13] H. W. Codrington, The Liturgy of Saint Peter, Münster, 1936, p. 165-163.

[14] G. Peradze, Pojęcia, zadania i metody patrologii w teologii prawosławnej, Warszawa, 1934, s. 12.

[15] Voir plus en détail sur ce thème: Henryk Paprocki, L’Archimandrite Grigol Peradze (1899-1942), „Revue des Études Géorgiennes et Caucasiennes”, 4:1988, s. 199-230; du même, Archimandryta Grzegorz Peradze jako badacz starożytnego chrześcijaństwa gruzińskiego, „Vox Patrum”, 8:1988, z. 15, s. 983-993.

[16] Voir le rapport d’activité de la section de théologie orthodoxe pour 1935-36 : Sprawozdanie z działalności Studium Teologii Prawosławnej Uniwersytetu Warszawskiego za rok akademicki 1935-1936, s. XIV (supplément à la revue „Elpis”).

[17] G. Peradze, Die Einflüsse der georgischen Kultur auf die Kultur der Balkanvölker (Eindrücke von einer reise durch Rumänien, Griechenland und Bulgarien), „Der Orient” 18 (1936), 1, p. 1-9. Georgian Influences on the Cultures of the Balkan Peoples, „Georgica” 1(1936),2-3, p. 14-23; Udział Gruzji w dziejach kultury duchowej na Bałkanach, „Wschód-Orient”, 7:1936, z. 1, s. 56-64.

[18] P. Gautier, Le Typikon du sébaste Grégoire Pakourianos, „Revue des Études Byzantines”, 42:1984, s. 5-145; A. Aroutiounova-Fidancjan, Tipik Grigorija Pakouriana, Erevan, 1978; A. Šanidze, Kartvelta monasteri bulgaretsi da misi tipikoni. Tipikonis kartuli redakcia, Tbilisi, 1971.

[19] G. Peradze, Z dziennika podróży po Ziemi Świętej i Syrii (5. VII.-28. IX. 1936), „Polska Stronica Słowa”, 3:1938, z. 5-6 z 30. I. 1938, s. 6-7; z. 7-8 z 13. II. 1938, s. 4-6; z. 9 z 27. II. 1938, s. 6-7; z. 12-13 z 27. III. 1938, s. 5-7; z. 14-15 z 10. IV. 1938, s. 5-6; z. 16-17 z 24. IV. 1938, s. 7-8; z. 18-19 z 8. V. 1938, s. 6-8; „Wiadomości Metropolii Prawosławnej w Polsce”, 2:1939*, z. 10 z 5. III. 1939, s. 2-3; z. 11 z 12. III. 1939, s. 2-3; z.13 z 26. III. 1939, s. 2-3; z. 14 z 02. IV. 1939, s. 3; z. 15 z 08. IV. 1939, s. 5; z. 18 z 30. IV. 1939, s. 3; z. 19 z 07. V. 1939, s. 3; z. 21 z 21. V. 1939, s. 3; z. 22 z 28. V. 1939, s. 3; z. 24 z 11. VI. 1939, s. 3; z. 25 z 18. VI. 1939, s. 3; z. 26 z 25. VI, s. 3; z. 27 z 02. VII. 1939, s. 3; z. 28-29 z 9. VII. 1939, s. 2-4; z. 30-31 z 23. VII. 1939, s. 3-4; z. 33 z 13. VIII. 1939, s. 4-5; Erlebnisse in und um Kaja Punar, „Orient im Bild“, 11:1937, z. 9, s. 33-34; Betlejem. Wrażenia z pobytu osobistego, „Polska Stronica Słowa”, 2:1937, z. 1 z 3. I. 1937, s. 3; Uroczystości niepodległościowe w Aleppo. Wrażenia z podróży, „Wschód-Orient”, 7:1936, z. 4, s. 43-50. *Je remercie monsieur Tomasz Kuprianowicz qui a retrouvé ce fragment du Journal du P. Grigol dans les Nouvelles de la Métropole.

[20] Etabli à partir des documents conservés aux Archives de la Métropole orthodoxe à Varsovie (cote 1060 RV-6A, s. 8 et 11).

[21] List apokryficzny Dionizego Areopagity do biskupa efeskiego Tymoteusza o męczeńskiej śmierci Apostołów Piotra i Pawła, Warszawa, 1937.

[22] G. Peradze, Die „Lehre der zwölf Apostel” in der georgischen Überlieferung, „Zeitschrift für die neutestamentlichte Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche”, 31:1932, s. 111-116, 206.

[23] Kroniki ioani natliscemlis monastris me-XVIII saukunis, „Džvari Vazisa”, 4:1934, s. 7-30.

[24] G. Peradze, Nieznana Ewangelia apokryficzna pochodząca z kół monofizyckich, „Elpis”, 9:1935, z. 1-2, s. 183-215; toż w: Apokryfy Nowego Testamentu, réd. M. Starowieyski, Lublin, 1980, 19862, s. 150-172.

[25] G. Peradze, Georgian Manuscripts in England, „Georgica”, 1:1935, s. 80-88.

[26] G. Peradze, An Account of the Georgian Monks and Monasteries in Palestine as revealed in the Writings of non-Georgian Pilgrims, “Georgica”, 2:1937, s. 181-246; trad. géorgienne: ucxoel piligrimt’a cnobebi palestinis k’art’veli berebisa da k’art’veli monastrebis šesaxeb, trad. G. Dżaparidze, Tbilisi, 1995.

[27] G. Peradze, Die altchristliche Literatur in der georgischen Überlieferung, „Oriens Christianus”, 25-26:1930-30:1933.

[28] Publié dans: „Tplilisis Universitetis Moambe”, 8:1928, s. 99-202.

[29] G. Peradze, Skizzen zur Kulturgeschichte Georgiens, „Der Orient”, 12:1930, s. 45-52; pour les autres publications du père Grégoire Peradze voir: H. Paprocki, Bibliografia prac św. Grzegorza Peradze, plus bas, ainsi que la Revue des Études Géorgiennes et Caucasiennes déjà citée.

[30] H. Paprocki, Analiza dokumentów odnoszących się do sprawy aresztowania w 1939 roku w Warszawie trzech Gruzinów, „Pro Georgia”, 4:1994, s. 64-77. Voir ce que dit la dame dans le film documentaire de Jerzy Rubach : „Rogatywka i tygrysia skóra” :« Le bonnet carré et la Peau de Tigre »,

[31] H. Paprocki, Niektóre okoliczności aresztowania i pobytu w więzieniu na Pawiaku ks. Archimandryty Grzegorza Peradze, [Certaines circonstances de l’arrestation et de la détention à Pawiak de l’A. G.P.] „Wiadomości Polskiego Autokefalicznego Kościoła Prawosławnego”, 17:1987, z. 2-3, s. 68-72.

[32] Cf. A. Tarby, La prière de l’Église de Jérusalem, Paris: Beauchesne, 1972, p. 22, 38-40; J. Assfalg & P. Krüger, Kleines Wörterbuch des christlichen Orients, Wiesbaden, 1975, S. 124, 375 [= J. Assfalg & P. Krüger, Słownik chrześcijaństwa wschodniego, przeł. A. Bator, M. M. Dziekan, Katowice, 1998, s. 225 = J. Assfalg & P. Krüger, Dictionnaire de l’Orient Chrétien, trad. adapt. Centre Informatique et Bible, Turnhout: Brepols, 1991, p. 180, 387]; Clavis Patrum Graecorum, cura M. Geerard, Turnhout, 1975, II, s. XVIII; III, s. XVII-XVIII.

[33] J. Assfalg, Über die georgischen Studien in Deutschland, op. cit., S. 203-209 .

Père Henryk Paprocki